Association des RICHAUD et des BOUILLANNE

Issus de la noblesse de la Vallée de Quint en Dauphiné

NOTRE HISTOIRE
 
L’histoire des Richaud et des Bouillanne est celle de familles de paysans de la Vallée de Quint (les Richaud ayant également des liens avec la région de Gap), anoblies au Moyen-Age pour avoir sauvé la vie d’une personnalité locale (leur appartenance à la noblesse fut confirmée sous Louis XI et Louis XIV). 
 
Leurs descendants quittèrent la Vallée pour des raisons économiques – il n’y avait pas assez de terres pour tout le monde – puis, après 1685, sous l’effet des persécutions qui suivirent la Révocation de l’Edit de Nantes. 
 
Ils ont essaimé dans le Dauphiné, dans le reste de l’Hexagone et à l’étranger. C’est ainsi qu’un Jean-Marc Bouillanne, né en Suisse de parents quintous qui s’y étaient réfugiés, émigra vers 1735 au Canada où il fonda une famille aux ramifications nombreuses, aujourd’hui réunies en une association avec laquelle la nôtre entretient de très amicales relations (http://www.genealogie.org/famille/boulianne). 
 
Le 21 juillet 1788, lorsque les délégués de la bourgeoisie, de la noblesse et du clergé se réunissent à Vizille pour élaborer un certain nombre de revendications destinées au Roi, un Richaud et un Bouillanne sont là pour représenter “ les plus anciennes familles nobles du Dauphiné ”. Ce jour-là, l’histoire de nos familles effleure l’Histoire de notre pays. 
 
Diverses personnalités de leur descendance seraient à citer, parmi lesquelles 
 
- Hyacinthe Richaud (1757-1827), maire de Versailles sous la Terreur ;

 
 
- Etienne Richaud (1841-1889), gouverneur des colonies ; 
 
- le commandant Henry de Bouillane de Lacoste (1867-1937), explorateur ; 
- le cardinal Paul Richaud (1877-1968) archevêque de Bordeaux ; 
- le professeur Henry de Bouillane de Lacoste (1894-1956), spécialiste de Rimbaud ; 
- le poète André de Richaud (1909-1968) : d’autres encore… 
 
Notre Association s’attache à maintenir vivant le souvenir de ces ancêtres lointains ou proches qui nous relient à un épisode obscur mais authentique de l’histoire dauphinoise.
 
L'histoire de nos familles a donné lieu à divers travaux à partir des textes disponibles. On trouvera dans cette rubrique les plus approfondis. Ils concernent (1) l'origine des Richaud, (2) les Richaud du Haut Buëch et la fondation des chartreuses de Durbon et de Bertaut. 
 
 
 
 
 
ESSAI SUR L'ORIGINE DES RICHAUD
par François de Richaud
 
 
Contexte historique
 
Les plus anciennes mentions que nous ayons relevées concernant notre famille, situent celle-ci autour de l’an “Mil“, dans la région de Veynes, Aspres-sur-Buëch, Serres, c’est à dire approximativement à l’intersection des routes menant de Gap à Die et de Sisteron à  Grenoble : le Pays du Buëch.
 
Les premiers habitants de notre pays vers 2000 avant JC, aux temps préhistoriques de la pierre polie, semblent être les “Ligures“. Ils étaient, paraît-il, de petite taille, très bruns de peau et avaient des cheveux noirs. Ils occupaient tout le littoral méditerranéen, Espagne, France et Italie, ainsi que le couloir rhodanien et les  Alpes. Entre le Rhône et le Var étaient les tribus Salluvii, Segobrigii et Suelteri. La ville importante des Ligures était Gênes.
 
Vers 600 avant J.-C., chassés de leurs territoires dans la vallée du Danube par l’arrivée des Huns, la puissante tribu celte des “Allobroges“ et leurs alliés les “Voconces“ vinrent s’installer pour les premiers entre Rhône et Isère, et pour les seconds entre Isère et  Mont Ventoux. Les Ligures furent refoulés vers les hautes vallées des Alpes et les rives méditerranéennes. Les principales villes des Allobroges étaient Vienne, Grenoble et Genève. Et pour les Voconces, Sisteron et surtout Vasio ( Vaison ).
 
Ceux-là étaient également nos ancêtres, mais comment étaient-ils ?
 
Elisée Reclus nous indique que les Gaulois se divisaient en deux types bien distincts. Ceux compris entre Seine et Garonne étaient petits, bruns avec une tête ronde, alors que ceux de l’Est de la Gaule étaient grands, blonds avec une tête longue et des yeux clairs.
 
L’historien grec Diodore de Sicile les décrivait ainsi : “Les Gaulois ont le corps grand, la peau humide et blanche, les cheveux blonds par nature, mais ils s’appliquent à accroître artificiellement le caractère spécifique de leur couleur naturelle, se lavant sans cesse les cheveux avec un lait de chaux. Ils les relèvent sur les tempes vers le sommet de la tête et de la nuque, de sorte que leur aspect ressemble à ceux des Satyres et des Pans, car leurs cheveux s’épaississent du fait de ce traitement, au point de ne différer en rien de la crinière d’un cheval.”
 
Les Allobroges et les Voconces dominèrent notre région jusqu’à l’arrivée des Romains en 121 avant J.-C. Chaque fois vaincus après quatre révoltes, ils se résignèrent et fournirent régulièrement leurs contingents à Rome. Mais les Alpes ne furent définitivement pacifiées que sous Auguste.
 
Il s’ensuivit la période Gallo-Romaine et la Pax Romana. Malgré les persécutions, les premières communautés chrétiennes ne cessèrent de se développer et après la conversion de l’empereur Constantin, la région était couverte par les diocèses de Vienne, Grenoble, Genève, Valence, Die, Gap et Embrun.
 
Mais voilà que le 31 décembre 406, près de Mayence, des hordes de guerriers Vandales, Suèves et Alains franchirent le Rhin, accompagnés de femmes, enfants, troupeaux et chariots, et se ruèrent sur les terres gauloises, fuyant une nouvelle avancée des Huns. Rien ne put arrêter ce raz de marée, car une grande partie de l’armée romaine était redescendue en Italie pour se protéger de l’avance des Wisigoths. Par cette brèche d’autres peuples entrent en Gaule. Parmi eux, un peuple moins belliqueux que les autres, les “Burgondes“, qui viennent du pays compris entre l’Oder et la Vistule.
 
Ils étaient conduits par leur roi Gunther. Avec l’autorisation des Romains, ils s’installèrent en particulier sur le territoire des Allobroges et des Voconces jusqu’au nord de la Durance. Avant le 1er siècle, ils étaient en Scandinavie. Ils parlaient le vieux nordique, un dialecte goto-scandinave, tout comme les Goths ou les Vandales.
 
C’est ainsi que nous nous trouvâmes englobés dans le royaume Burgonde qui fut vaincu par les Francs en 536. Ceux-ci parlaient une langue germanique, le francique, qui se répandit certainement dans toutes les contrées qu’ils soumirent à leur autorité. Au VIIIe siècle, ils vainquirent les Arabes, mais ceux-ci continuèrent leurs razzias qui désolaient notre région, dans laquelle finalement seule l’Eglise représentait une autorité établie. Les Arabes ne furent  définitivement chassés qu’après leur défaite de 947 en Provence.
 
En 855, notre région fut donnée à Lothaire, l’un des petits fils de Charlemagne. Mais en 933, les royaumes de Bourgogne transjurane et de Provence sont englobés dans le second royaume Burgonde. En 1032, Rodolphe III reconnut la suzeraineté des empereurs allemands et laissa ses états à Conrad II, l’empereur régnant.
 
Les premiers RICHAUD
 
C’est dans ce contexte qu’apparaissent, à notre connaissance, les premiers RICHAUD. Nous venons de voir quelles pourraient être nos origines. Assurément un heureux mélange de toutes ces peuplades venues pour l’essentiel du Nord et de l’Est. Notre nom, d’origine germanique, vient de Ric : puissant, et de Wald : gouverner.  
De tous les peuples qui s’étaient installés dans notre région, seuls les Francs, on l’a vu, parlaient une langue germanique, le francique.
 
 
Peut-être sommes-nous arrivés avec eux pour nous fondre ensuite au milieu de la population autochtone. Beaucoup de noms de cette origine subsistent toujours dans ce pays et si les Francs ont laissé cette marque durable de leur passage, il est probable, en revanche, que le francique n’a pas survécu longtemps et que les vainqueurs ont très rapidement adopté la langue et la culture des vaincus.
 
C’est ainsi que nous trouvons les premiers RICHAUD dans le Régestre Dauphinois :
 
 En l’an Mil, le laïque Richaud a donné au monastère de Cluny et à l’abbé Odilon, la moitié de son héritage, in revelo, au comté de Gap, qu’il avait donné à son oncle Roland et à ses fils. L’abbaye de Cluny, fondée en 910, est éloignée de notre région, mais déjà en pleine expansion.
 
En 1135, nous voyons que  Guillaume Richaud de Vaunières et sa femme Senegonde, vendent à Lazare, prieur de Durbon, une terre de la Podiata Burriane avec l’assentiment de ses frères Arbert, Isnard et Bertrand “. A Durbon, il y avait une Chartreuse située à la hauteur de Saint-Julien en Beauchêne, sur la route menant de Sisteron à  Grenoble. C’est juste à côté que se trouve Vaunières.
 
Cette même année, Alboinus Richaud et Hugues de Fonte font également des dons à Notre- Dame de Durbon et au prieur Lazare.
 
En 1155, “ ....... Richaud et son frère Pierre de l’Escharena, donnent au prieur Bertrand et aux frères de Durbon, entre les mains de Guillaume, archevêque d’Embrun, tout bon droit et domaine au territoire de Recours.” Il s’agit de Guillaume de Champsaur qui fut archevêque d’Embrun de 1135 à 1169.
 
En 1156, “ Guillaume Richaud de Neuvilar et son fils Garin, donnent aux habitants de Durbon tout ce qu’ils possèdent dans l’enceinte de leurs limites.
 
En 1166, “ Vente par Ponce Richaud, sa femme Aude et son fils Arnaud, à Bertrand, prieur de Durbon, de tout ce qu’ils possèdent à Lantelmancha, ainsi que tous leurs droits du Châtelard de Burriane. “ Cette même année, nous trouvons : “ Richaud de Montama et sa femme Escalona, ses fils Hugues et Guigues, et Pierre de Vaunières, vendent au couvent de Durbon leurs droits sur la terre de Lantelmancha jusqu’à la crête de Combe Obscure.”
 
En 1188, “ Richaud de Veynes, est témoin d’une donation au couvent des Bertaud.” Veynes est située juste à côté d’Aspres sur Buëch sur la route de Gap.
 
En 1226, “ Arnaud Flota et son épouse Sybille, donnent aux religieuses de Sainte Marie d’Aurouse, les droits d’Arbert Richaud au château des Arnaud. Fait à Bertaud.”
 
En 1233, “ Arbert Richaud donne à Garnier, prieur de Durbon, un domaine et une propriété. Fait à Maniboux.” Cette donation est confirmée par la sœur d’Arbert et son frère Bertrand cette même année.
 
En 1235, “ Lagier de Sigottier, Hugues Richaud et ses frères reconnaissent tenir du Dauphin de Vienne, tous les droits et seigneureries qu’ils ont du mandement de Sigottier “. Il s’agit du Dauphin Guigues-André VI ( o 1184 + 1237 ), fils de Hugues III de Bourgogne et de Béatrix d’Albon. Sigottier est au nord-ouest de Serres.
 
Cette même année, “ Hommage rendu au Dauphin, comte de Gap, par Lagier de Sigottier, Hugues Richaud, Guillaume de Calabre et Raymond de Sigottier pour le château de Sigottier “ ( Inventaire gapençais ).
 
En 1255, Richaud, abbé de Clairecombe, est témoin d’une concession faite à la maison de Durbon.
 
En 1266 à Sisteron, “ Hommage par Pierre et Guillaume Richaud, frères, bailes du prieur d’Antonaves, à ce prieur, pour leurs possessions à Antonaves et à Châteauneuf de Chabre.”  Antonaves et Châteauneuf de Chabre sont près de Laragne Montéglin sur la route qui mène de Sisteron à Serres et Aspres sur Buëch.
 
En 1284 à Gap, Richaud Malaura est témoin de la vente de Guillaume Ariberna et de son fils Ponse à Jean Satraceno d’une terre sur le territoire de La Freissinouse pour le compte du monastère de Bertaud. La Freissinouse se trouve près de Gap sur la route menant de Gap à Aspres sur Buëch.
 
En 1286, Guillaume de Mévouillon, chevalier du roi Charles ( d’Anjou, roi de Provence ), passe procuration à Girard Richaud pour se transporter à Florence. Mévouillon se trouve sur la route menant de Sisteron à Buis les Baronnies.
 
En 1297, “ Hommage lige et serment de fidélité prêté à Jean, Dauphin de Vienne, comte de Gap et de la terre d’Embrun, fils aîné du Dauphin Humbert et d’Anne, Dauphine du Viennois, par Richaud de Mongardin, pour ses avoirs à Mongardin.” Il s’agit de Jean II, Dauphin de Viennois ( o 1281 + 1319 ) fils de Humbert Ier de la Tour du Pin et d’Anne, comtesse d’Albon.
 
En 1302 à Aix, “ Promesse par Richaud de Cambatesa, maître d’hôtel du comte de Provence, à Geoffroy, évêque de Gap, de faire observer les conventions passées entre lui et Hugues de Vincinis, sénéchal de Provence.
 
En 1304 en Arles le 13 octobre, “ Lettre de Richaud de Cambatesa, sénéchal de Provence, à André, abbé de l’Ile Barbe, lui ordonnant de prêter hommage dans les trois mois pour ses possessions de l’Embrunois, du Gapençais et du Val d’Oube.”
 
En 1317, “ A la suite de la donation faite à Jean, Dauphin de Viennois, par Raymond, seigneur de Mévouillon, prêtent hommage et fidélité au Dauphin, Richaud de L’Isle pour le château d’Eygalayers et Richaud de l’Espine, seigneur de Montjay, pour le haut domaine de Montaut et la paroisse de Sorbier en Rosans. “ Rosans et l’Epine se trouvent sur la route de Serres à Rémusat, alors que l’Eygalayers est située près de Séderon. Monjay n’est qu’à quelques kilomètres de l’Epine.
 
En 1322, “ Vente à l’enchère de la moitié de la seigneurerie de Laborel à Richaud de l’Epine, seigneur en partie de Montguers. “ Laborel et Montguers se situent sur la route menant de Sisteron à Buis les Baronnies par Orpierre.
 
En 1323, à Pelleautier le 8 mars “ Investiture de la terre vendue le 6 mars par Noble Richaud de Montaigu, baile de l’hospital à Pelleautier. Inventaire Sabine, diocèse de Gap.  Pelleautier est situé tout près de Gap.
 
En 1334, “ Hommage prêté à Humbert de Viennois, par Richaud de l’Isle pour la terre de l’Eygalayers, avec ses forts, territoires et ressort. Inventaire des Baronnies “
 
En 1338, il faut noter qu’un Richaud est notaire à Neffes, tout près de Gap.
 
 
Qui étaient-ils ?
 
Les premiers Richaud connus habitaient donc le pays de Buëch, principalement entre Saint Julien en Beauchêne, Veynes et Sisteron. Il y a un petit village tout près de Sisteron, au sud, qui s’appelle « les Richaud ». Nous sommes déjà en Provence.
 
Nous constatons tout de suite que les actes concernant nos ancêtres font souvent référence à des dons ou à des ventes de terres, domaines, propriétés ou droits qu’ils avaient dans cette région. Ce qui semble prouver qu’ils possédaient un patrimoine considérable. Il s’agissait certainement de familles très aisées, voire riches dans certains cas. La richesse allant de pair avec l’influence, les Richaud devaient donc avoir une certaine autorité dans ce pays.
 
C’est à partir de 1235 que l’on voit les Richaud côtoyer la noblesse. Ils commencent à rendre des hommages pour droits et seigneureries qu’ils tiennent des Dauphins.
 
En 1302, un Richaud de Gambatesa est “ maistre d’hostel “, c’est à dire administrateur de l’hôtel du comte de Provence. Nous retrouvons deux ans plus tard ce même Richaud, Sénéchal de Provence, donc chef d’une juridiction seigneuriale. Ensuite tous les Richaud cités rendent hommage pour des possession de châteaux ou autres seigneureries. Ils sont même parfois qualifiés de Nobles.
 
Que devinrent-ils ?
 
Le pays de Buëch devint trop petit pour ces familles qui ont certainement proliféré. La mortalité infantile était terrible à  
ces époques et l’on faisait beaucoup d’enfants pour que quelques uns au moins survivent. Même si les héritages étaient importants, les propriétés ne pouvaient être morcelées à l’infini. Le droit d’aînesse s’appliquant, il fallait bien que les exclus trouvent les ressources nécessaires pour fonder leur famille. C’est ainsi qu’ils migrèrent dans plusieurs directions.
 
Au nord, en suivant la route de Gap à Grenoble, une branche se fixa dans le Trièves, vers Corps, La Mure, Mens. C’est la vallée du Drac. Nous les connaissons en particulier sous les noms de Richaud de Ladversail et de Prapinet.
 
A l’est, des Richaud s’aventurèrent jusqu’à Barcelonnette et prirent les noms de Richaud de Faucon et de l’Enchastraye. Ces derniers vinrent à Versailles vers 1770. L’un des plus éminents fut le grand révolutionnaire Hyacinthe Richaud qui s’illustra,  en particulier, lors des massacres de septembre 1792, en essayant de soustraire à la vindicte populaire ceux que l’on a appelés “ les prisonniers d’Orléans “. Un autre membre éminent de cette branche fut le cardinal Richaud, archevêque de Bordeaux de 1950 à 1968. Parmi les Richaud de Faucon, une branche descendit sur Toulon et Marseille. C’est à elle que se rattache Louis Richaud qui a vécu et relaté l’insurrection de Toulon de 1793. Il faut également prendre en compte une importante branche des Richaud à côté de Marseille, à Martigues. De celle-ci naquit Etienne Richaud qui fut le premier gouverneur d’Indochine.
 
La migration vers l’ouest a dû se dérouler en deux temps. D’abord une migration naturelle, lente, partant d’une ligne allant de Saint Julien en Beauchêne à Sisteron, vers la vallée du Rhône. C’est ainsi que nous retrouvons des Richaud à Buis les Baronnies, Nyons, Dieulefit ou Montélimar.
 
La seconde migration vers l’ouest fut plus ciblée. Elle se dirigea vers Die et la vallée de la Drôme. Là, les Richaud s’installèrent en particulier dans la vallée de Quint qui devint le principal fief de la famille. Partant de là, ils remontèrent vers Valence et le Royans, Saint Jean en Royans, Saint Nazaire en Royans, etc. Une branche continua au-dessus de Valence vers la Drôme des collines, dans la région d’Hauterives.
 
Les premières traces que l’on trouve sur les Richaud de Quint remontent à septembre 1245. Elles sont dans le cartulaire de Léoncel. Ce sont des chartes relatives à des droits de pâturage à Ambel, au-dessus de Saint Julien en Quint. Elles ont été signées par Humbert de Bouilhanne. C’est dans cette vallée de Quint que nos chemins se sont croisés avec ceux des Bouillanne. Pendant des centaines d’années, il y eut des centaines de mariages entre nos deux familles en ce lieu, tant et si bien que l’ensemble de ces actes rédigés avec des prénoms quasi identiques forment un tout quasiment  inextricable et c’est ainsi que nous sommes devenus une seule et grande famille.
 
Et notre Ours dans tout cela ?
 
Il est bien là. Un peu partout même. Il se promène entre la forêt de Malatra, celle de Lente ou celle de Saou. Nous le retrouvons même dans le Trièves. Tout le monde en parle, tout le monde le veut. Parlons d’abord de ce qui n’est pas.

- Dans le “ Catalogue des Actes du Dauphin Louis II “ ( futur Louis XI ) relatif à l’administration du Dauphiné, nous trouvons dans le tome II à l’article 1854 :
Mars 1446:
Lettres du Dauphin Louis, constatant les hommages qui lui avaient été prêtés par les Nobles ci-après désignés :
      “ Jarenton et Bontoux RICHAUD, tant en leur nom personnel qu’en celui de Claude RICHAUD, leur frère, pour ce qu’ils possédaient dans la vallée de Quint. “
 
-  Dans “ L’Inventaire manuscrit de Marcelier “, nous trouvons les hommages rendus le 23 février 1446 et en 1447, 1452 et 1453.
           “Jarenton RICHAUD, Bontoux RICHAUD, tant en leur nom que Claude RICHAUD, leur frère, avoient presté homage au Dauphin comme Comte de Valentinois et Diois pour toutes les censes, rentes et revenus qu’ils avoient au mandement de Quint.”
 
Nos ancêtres sont déjà considérés comme anciens nobles. Il n’est question, en aucun cas, d’anoblissement pendant cette période. Donc, pas encore d’Ours malgré les allégations de Rivoire de la Batie(page 97 et 608). C’est bien antérieurement qu’il s’est rendu célèbre. Déjà 120 ans plus tôt, toujours dans “ l’Inventaire manuscrit de Marcelier “ nous trouvons :
“ l’homage presté audit Aymar de Poitiers le 18 mars 1327 par Noble Pierre de RICHAUD de QUINT de tout ce qu’il avoit de franc et noble au terroir du mandement de Quint, sous juridiction haute et basse, hommes, homages, maisons, vignes, censes, taches, tailles, prés, pasquerages, terres cultivées, incultes, moulins, cense, four et autres biens et droits. “
 
Nos deux familles Bouillanne et Richaud ont été anoblies ensemble. Les chartes du cartulaire de Léoncel établies en 1245 sont signées par Humbert de Bouilhanne et Adhemar Richaud. L’anoblissement a donc eu lieu avant. Nous pensons que 1200 - 1230 serait une période raisonnable.
 
Les noms de nos ancêtres bûcherons sont généralement donnés comme étant Pierre Bouillanne et Géranton Richaud. Nous les connaissons bien, ils vivaient dans la vallée de Quint en 1447. Nous connaissons bien également toute leur descendance. Mais nous venons de voir qu’ils ne pouvaient être les protagonistes d’un fait qui avait dû avoir lieu deux siècles plus tôt. Par contre, dans les différents récits connus, il est souvent question de François Bouillanne et de Michel Richaud. Ceux-ci ont beaucoup plus de chance d’être nos deux héros.
 
Quant au théâtre de leurs exploits, les présomptions sont si importantes, qu’il y a tout lieu de croire qu’il est situé sur la montagne d’Ambel dans la forêt de Malatra, et que le lieu de notre anoblissement soit le château de Beauvoir en Royans, bien que dans la première moitié du XIIIe siècle, il appartienne encore à la famille des Béranger. Il ne fut vendu qu’en 1251 à Guigues VII, mais les Dauphins y séjournaient bien avant, tant pour la gestion de leur territoire que pour leur plaisir de la chasse.
 
Nous ne pourrons sans doute jamais tout prouver, mais c’est tout de même une bien belle histoire.   ?
 
 
Quelques références :
 
-  Catalogue des Actes du Dauphin Louis II ( futur Louis XI )
-  Régestre de Dauphiné, J Chevalier
-  Inventaire manuscrit de Marcelier
-  Les affiches de Grenoble et du Dauphiné
-  Le petit Corpatus
-  Géographie universelle de Malte-Brun, 1858
-  Géographie universelle d’Elisée Reclus, 1881
-  Atlas Migeon, 1881
-  Grand Larousse illustré, 1890 ... etc.
  
 
 
 
LES RICHAUD DU HAUT-BUECH ET LA FONDATION DES CHARTREUSES DE DURBON ET DE BERTAUD
par Françoise de Bouillane de Lacoste
 
Je voudrais revenir ici sur certains des très anciens Richaud – la première mention d’un Richaud remonte en effet au 19 avril 988, lorsque celui-ci fait une importante donation à l’abbaye de Cluny – tels qu’ils apparaissent dans le REGESTE DAUPHINOIS. François de Richaud leur a consacré un excellent essai d’un caractère plus général. (voir la Gazette de l’Ours, n°79 de mai 2008, ou le site de notre Association.) Leurs noms nous ont été transmis grâce aux cartulaires d’abbayes ou de chartreuses. Les cartulaires sont les documents fondamentaux conservés sur parchemin attestant les titres de propriétés, les donations, les acquisitions, les règlements, les compromis et les décisions importantes concernant une communauté.
 
* * *
 
Si l’on examine attentivement la carte de randonnée ( 3338 OT, éditée par l’I.G.N.) concernant le secteur du Haut-Buëch, on relève de part et d’autre de la N 75 qui longe les eaux tumultueuses du Buëch, au nord de Saint-Julien-en-Beauchêne, les noms de minuscules hameaux, Neuvillard, Beaudinard à l’est, Montama, à l’ouest, et, tout au bout de l’étroite petite route D 516 qui longe le torrent de Vaunièrelle, au fond d’un cirque de montagnes austères, le vieux village en ruines de Vaunières qu’une association de jeunes commençait à reconstruire lorsque nous l’avons visité en 2007. 
(img 118, le hameau de Vaunières, cliché FBL)
 
Ce sont là les lieux d’origine de ces premières lignées de Richaud qui vivaient à quelques kilomètres les unes des autres. On relève leurs noms dans le REGESTE dans la traduction résumée du texte de cartulaires rédigés à la fois en latin et en langue vulgaire (ou langue d’oc), d’où une grande incertitude en ce qui concerne les noms des lieux comme ceux des personnes qui peuvent être transcrits ou traduits différemment d’une charte à l'autre. Ainsi Richaud est parfois écrit Richard ou Ricard à la suite d’une mauvaise lecture, souvent Ricaud, voire même une fois Rico ! 
 
Au XIIe siècle, il n’y a pas de noms de famille au sens où nous l’entendons, mais des prénoms. Ainsi, Richaud est un prénom au même titre que Pierre, Guillaume, Ponce (Pons), Matfred ou Arbert. Pour distinguer entre eux les porteurs d’un même prénom, on adjoint à celui-ci soit un surnom, qui dans bien des cas deviendra un nom transmis de génération en génération, soit, comme dans les cartulaires qui nous intéressent, un autre prénom au génitif qui signifie « fils de » pour marquer l’appartenance à une famille ou à une lignée, comme par exemple « Arbert Ricaudi », Arbert fils de Richaud (charte de Durbon n° 6) , ou « Guillaume Ricaudi » (charte n° 12). On trouve également le prénom joint à un nom de lieu d’origine, ce qui ne signifie pas nécessairement la possession de ce lieu : « Ricaud de Vaunières », « Matfred de Beaudinar », « Guillaume de Montama »…On rencontre enfin le mélange de ces deux formules, par exemple dans la charte n° 13 au sujet de « Guillaume Richaudi de Vaunières », ou « Guillaume Ricaudi de Neuvilar » (charte n° 16). J’ai également trouvé une fois un collectif, « les Ricards » (charte n°5).
 
Qui sont ces Richaud ?
 
D’où viennent-ils ? François de Richaud nous a expliqué que le nom est d’origine germanique et mêle deux racines : RIC : puissant, et WALD : gouverner. Ces Richaud devaient être fixés dans la région depuis un certain temps car ils sont qualifiés en 1116 de « primates et nobiles », «grands et nobles » (charte n°2), comme l’était sans doute aussi « le clerc Richaud » cité plus haut, dont la donation à l’abbaye de Cluny vers l’an mil est considérable. 
 
Un détail pourrait nous mettre sur la piste d’une possible origine de ces Richaud : l’un de ceux nommés dans le cartulaire de Durbon est appelé Richaud Albuini ou Alboini : Richaud, fils d’Albuin ou Alboin. Le nom n’est pas exceptionnel puisqu’un prieur clunisien de Gap en 1063 s’appelait aussi Alboin… Ce qui est intéressant, c’est que ce nom d’Alboin est celui du grand roi lombard, fondateur vers 567 du royaume des Lombards en Italie du nord, qui dura plus de deux cents ans jusqu’à sa destruction par Charlemagne en 774. Or la présence de notables « lombards » est attestée dans la région de Gap, et certains de leurs descendants portent le surnom, devenu nom de famille, de « Lombard »au XIVe siècle… D’autre part, à la même époque, « lombard » est synonyme de prêteur, de créancier, puis de banquier, bref, d’homme riche et influent… D’où cette hypothèse, que j’avance avec les plus grandes précautions : les Richaud n’auraient-ils pas été à l’origine des Lombards, riches et puissants propriétaires de terres non loin de Gap ?
 
Un peu d’histoire
 
Dans la période de troubles, de confusion et de violences qui caractérise le Xe siècle, l’Eglise apparaît comme un refuge. La fondation d’abbayes, participant à ses débuts à un mouvement général de réformes, permet que les biens mis à la disposition des moines échappent à toute intervention extérieure laïque. Ainsi, dès sa fondation, en 910, l’abbaye de Cluny reçoit des dons de terres qui permettent son extension par la multiplication d’abbayes bénédictines « filles » dans des territoires parfois très éloignés les uns des autres. Ces dons faits par des laïcs et soigneusement enregistrés dans les cartulaires offrent aux fidèles qui les font une sorte de garantie sur l’au-delà, une assurance vie éternelle pour des gens qui vivent dans la terreur de l’enfer entretenue par les sermons des prédicateurs. Les textes sont très clairs : un tel fait un don à telle abbaye « considérant la damnation de l’âme de ses parents et la sienne, pour que Dieu efface la masse de ses forfaits… », un autre « pour obtenir l’entrée au Paradis », un autre encore « pour obtenir de Saint Pierre qu’il lui ouvre la porte du Paradis ». Certaines familles vont jusqu’à offrir aux abbayes un de leurs enfants pour que ses mérites obtiennent leur salut : on les appelle des « donnés », ou oblats, ils ne prononcent cependant pas de vœux et peuvent à tout moment quitter le monastère.
(img 128, facsimile de charte de Durbon à l'entrée du domaine, cliché FBL)
 
Pendant plusieurs siècles, fondations de monastères et dons de terres à leur profit se multiplient, permettant ainsi la création de vastes territoires sous la seule autorité des abbés élus par leurs communautés et indépendants de tout pouvoir laïc, en particulier celui des grands féodaux. 
 
En 1084, la petite communauté de saint Bruno et de ses compagnons s’installe dans une vallée très sauvage du massif de la Chartreuse, dans « un désert » qui leur a été donné. Ils sont tentés par une vocation d’ermites, très différente de la vie monastique en communauté que leur proposent les abbayes dépendant de Cluny ou de Cîteaux. Malgré une vie ascétique isolée de la société, les chartreux, comme on va bientôt les appeler, mènent en effet une vie active et non purement contemplative ; par nécessité, ils doivent aussi travailler de leurs mains. Grâce à des dons de terres faits aux ermites, les fondations de chartreuses vont se multiplier en Dauphiné, en Savoie, en Provence : Portes, les Ecouges, la Silve Bénite, Bouvante, et quantité d’autres…
 
La fondation de la chartreuse de Durbon
 
Le 18 octobre 1116, « Matfred de Beaudinar et son frère Lagier, Ponce de Beaudinar et ses frères, Richaud Albuini, leurs fils et neveux, donnent à Lazare et à ses compagnons le col de Chalmeta dont ils précisent les limites pour y construire un asile religieux (heremus, ermitage) » (charte de Durbon n°1) – « Les grands et nobles ayant donné à Lazare et à ses frères le désert nommé Durbon, Laugier, évêque de Gap leur fait cession des dîmes, prémices et autres droits ecclésiastiques .» (charte n°2). A ces premiers donateurs se joignent bientôt Guillaume de Montama et ses frères ainsi que Richaud de Vaunières, qui donnent à leur tour la vallée et le pré de la Bouriane (charte n°5), tandis que les fils mineurs de Lambert Flotta cèdent les bois de Recours avec prés et terres (charte n°19). Lazare, venu de la Grande Chartreuse, et ses compagnons ont donc reçu un territoire important accompagné d’une exemption fiscale. Mais ce n’est qu’un début…
 
Le site
 
C’est un « désert », d’accès difficile à partir de Saint-Julien-en-Beauchêne, isolé et sauvage, à plus de 1100 mètres d’altitude, sur les premiers contreforts du Dévoluy. Le climat y est particulièrement sévère, avec des hivers longs et rudes, dans des bois épais coupés de ravins profonds. La toponymie est révélatrice des rigueurs du climat et de l’aspect inhospitalier du paysage : Combe Obscure, Mont Noir, Combe Noire, Malhiver, Rioufroid (une combe glaciale où s’engouffre le vent !), Vaunières, qui signifie « vallée noire »…
 
La première installation de Lazare et de ses « frères » se limite sans doute à une grange ou à quelques cabanes dressées près de l’étroit passage entre des rochers, justement appelé « L’Etroit » (img 117, l'entrée de la chartreuse de Durbon, cliché FBL), qui marque l’entrée du domaine primitif de la chartreuse s’étendant le long de la rive droite de la Bouriane. Une chapelle en bois, « Sainte Marie et Saint Jean Baptiste », est aussitôt construite, bientôt remplacée par un édifice en pierre auquel se joignent très vite d’autres bâtiments, une hôtellerie pour recevoir les visiteurs de passage, une maison haute puis une maison inférieure, car les dons affluent, en particulier de la part des premiers donateurs qui se séparent peu à peu de toutes leurs possessions dans cette portion de la montagne. Au fil des ans, par donations, échanges ou acquisitions pures et simples (mais dont les conditions ne sont pas toujours claires car il n’est pas évident que toutes ces cessions aient été librement consenties, en particulier pour les propriétaires de parcelles enclavées sur le territoire du monastère), le domaine des chartreux s’accroît dans des proportions considérables : terres, forêts, prés et alpages en altitude, sur lesquels sont construits des granges, des étables, des écuries, des ateliers où s’affairent une foule de domestiques ou d’employés laïcs, car le monastère est vite devenu une véritable entreprise, la plus importante de la région, mêlant la recherche de la sainteté et l’efficacité économique grâce à la diversité de ses activités, destinées à faire vivre une communauté d’hommes dont le nombre statutaire n’a jamais été supérieur à seize : les « pères », ayant fait profession, vivent entièrement retirés du monde, chacun isolé dans le silence de sa cellule, combinant selon un horaire très précis méditation, prière, étude et travail manuel, ne se mêlant au reste de la communauté que pour les offices religieux. Astreints la plupart du temps au silence, ne mangeant jamais de viande et soumis à des jeûnes réguliers, ils ont accepté une des règles les plus sévères de la vie monastique. Mais leur existence repose sur la présence et le travail d’une communauté beaucoup plus importante, capable d’assurer les contacts indispensables avec le monde extérieur : d’autres religieux, des « frères », soumis à la règle de l’ordre mais ne résidant pas en ermitage, des « convers », des « frères lais » chargés des tâches matérielles, des laïcs indispensables pour traiter les affaires du monastère, des visiteurs, des domestiques, des muletiers, des vachers, des bergers, des bûcherons, des charbonniers, des forgerons, des cultivateurs enfin… 
 
Quelles sont les activités économiques de la chartreuse de Durbon ?
 
Tout d’abord l’exploitation de la forêt qui l’entoure et fournit le bois de chauffage ; des scieries – les seytes - ont été installées sur les principaux torrents et les troncs sont vendus comme bois de charpente ou descendus par charrois de bœufs à Saint-Julien-en-Beauchêne ou Trabuëch jusqu’à une sorte de port fluvial où ils sont assemblés en radeaux et acheminés au début de l’été - dangereusement ! – vers Sisteron et la Durance. Il y a également des charbonnières qui produisent le charbon de bois nécessaire aux forges installées dans la combe de Rioufroid dont les martinets sont actionnés par les eaux glacées du torrent. Des forgerons y travaillent le minerai de fer apporté de la région de Mens. Dans bien d’autres monastères, les religieux sont devenus des maîtres de forges : j’en donnerai deux autres exemples visités récemment, l’abbaye cistercienne de Fontenay, en Bourgogne et la chartreuse d’Aillon, en Savoie…
 
Les prés jouent un rôle essentiel dans l’économie de la chartreuse. Les moines possèdent un important cheptel de bœufs et de moutons. Outre leur importance dans l’alimentation en fournissant viande et surtout fromages dont les moines, dont certains sont végétariens, font une grande consommation, ils procurent le cuir et la laine indispensables, tandis que les bœufs permettent les charrois et les gros travaux. Cependant les moines de Durbon ne sont pas propriétaires des énormes troupeaux de moutons qui passent l’été dans les alpages qu’ils possèdent en altitude mais n’exploitent pas eux-mêmes, préférant les louer, soit à des habitants du Haut-Buëch ou de Lus-la-Croix-Haute, soit surtout à des éleveurs de Provence dont les bêtes par milliers remontent chaque été avec leurs bergers et leurs « baïles »vers les alpages du Dévoluy. 
 
Pour compléter l’autosuffisance de leur monastère, les chartreux de Durbon ont acquis des salines dans la région de Hyères, et des vignes dans le moyen Buëch, acquisitions assorties d’exemptions de péages et d’impôts. Quantité d’autres biens sont affermés à des habitants de la région qui paient des redevances généralement en nature, céréales, volailles ou fromages.
 
Conflits
 
Très vite, à cause de l’extension du monastère qui se trouve peu à peu en possession des terres les plus fertiles, des meilleurs alpages et de forêts qui étaient jusqu’alors à la disposition des habitants qui ont ainsi perdu leur droit de « pâturage » et de « bûcherage », naissent des conflits. Parfois ce sont les descendants des premiers donateurs qui, se sentant frustrés d’un héritage qui, estiment-ils, aurait dû leur revenir, contestent certaines donations … Mais les protestations les plus violentes viennent des habitants des communautés du Haut-Buëch qui enragent de payer un cens sur les terres qui leur appartenaient autrefois, de n’avoir plus le droit de prendre comme avant dans les forêts bois, feuilles, baies, champignons, ou gibier, et surtout de voir des étrangers au pays faire paître leurs troupeaux sur des alpages dont ils avaient l’usage depuis toujours, et ce d’autant plus violemment que leurs propres ressources sont devenues insuffisantes. Cette révolte se traduit par des incursions, des coupes de bois illicites, des batailles à coups de pierres et de gourdins entre bergers, des attaques violentes contre des domestiques du monastère, il arrive même que des moines, voire le prieur en personne, soient molestés. Les conflits ne sont pas moindres du côté de Lus-la-Croix-Haute où les bergers de Durbon se heurtent en bataille rangée non seulement aux habitants mais aux Templiers qui possèdent une commanderie dans le secteur, pour l’usage des alpages, en particulier ceux de la Jarjatte. Ces conflits sont réglés tant bien que mal à force d’arbitrages, de compromis, de sentences en faveur du monastère, mais ils ne sont jamais résolus complètement car la population locale ressent la puissance foncière et économique de la chartreuse comme une usurpation qui les prive de droits ancestraux.
 
Lors de la révolution de 1789, il ne reste plus que quelques moines qui quittent la chartreuse avant qu’elle ne soit déclarée bien national, vendue aux enchères, puis livrée au pillage et à la démolition. De nos jours, ne subsiste de sa grandeur passée qu’une ferme devenue gîte de vacances et des amas de pierres qu’engloutit peu à peu la forêt qui a repris ses droits.
 
Le monastère de Bertaud
 
Il en reste encore moins de la chartreuse féminine de Bertaud, dont il est maintenant difficile de trouver même la trace, au sud-est de Durbon dont certains alpages jouxtaient ceux des moniales
 
Le 29 septembre 1188, un peu plus de soixante ans après la fondation de Durbon, Adélaïde, femme d’Arnaud Flotta, seigneur de la Roche–des –Arnauds, et ses fils font une donation de terre aux religieuses de Prébayon, pour fonder une chartreuse, premier monastère féminin de l’Ordre, sur le territoire de Bertaud, don confirmé, entre autres, par Richaud de Veynes.(charte de Bertaud n°1). Nichée au pied de la Dent d’Aurouse, elle se trouve dans un site encore plus difficile d’accès que Durbon, loin de tout lieu habité, à plus de 1800 mètres d’altitude, à un endroit où les hivers sont d’une rigueur sibérienne, un territoire désolé, où rien ne pousse, en proie aux vents, aux brouillards et à des orages d’une violence terrifiante qui causeront à plusieurs reprises des incendies du monastère, jusqu'à sa destruction définitive par le feu en 1446.
 
Les religieuses de Bertaud ont dû faire preuve d’une endurance exceptionnelle : il leur a fallu une santé à toute épreuve et une grande force de caractère ; celles qui survivaient aux premiers hivers, pouvaient vivre jusqu’à un âge très avancé – il y eut même une centenaire parmi elles ! Elles ont cependant payé un lourd tribut à la peste noire qui fit onze victimes dans leur communauté en 1411. Mais je crois que le maître mot pour les définir est : résistance. Je ressens une sorte de tendresse particulière pour ces femmes, vivant dans des conditions épouvantables mais choisies par elles, manifestant sans cesse un esprit d’indépendance, sinon de rébellion, pour affirmer leurs droits vis à vis d’autorités masculines – évêque ou Chapitre de l’Ordre – qui tentent de leur faire accepter « dans un esprit d’obéissance » ce qu’elles jugent inacceptable, comme d’être soumises à l’autorité du prieur du couvent de Durbon, alors qu’elles réclament l’indépendance de leur prieure et de n’obéir qu’au prieur général de l’Ordre. Quand leur couvent est détruit par le feu et qu’elles sont évacuées puis installées à la chartreuse de Durbon, elles obtiennent, non sans peine, que les revenus de leur territoire, exploité par les chartreux, leur soient reversés et lorsque le droit de promenade – le « spaciment » – dans l’enceinte de la chartreuse leur est refusé pour éviter qu’elle ne croisent les moines, elles se révoltent en affirmant que « cette aggravation de l’austérité de leur régime n’était pas comprise dans les vœux qu’elles avaient prononcés et qu’il n’y avait dans les déserts qu’elles habitaient ni abus ni scandale ». Malgré les interdictions successives de l’évêque qui s’oppose à la présence de laïques dans l’enceinte du couvent, elles persistent à héberger des jeunes filles de la région qu’elles instruisent et forment dans l’espoir qu’elles entreront dans l’Ordre en apportant leur dot; c’est ainsi qu’elles ont pu maintenir pendant trois siècles un effectif à peu près constant, oscillant entre douze et vingt religieuses professes. Lorsque l’interdiction devient effective, le recrutement se tarit et la communauté des moniales de Bertaud finit par disparaître lorsque la dernière survivante est envoyée vers 1601 dans une autre maison.
 
La seule richesse de Bertaud, ce sont ses alpages : à l’inverse de Durbon, les moniales sont propriétaires de leurs troupeaux de moutons dont elles ont le droit de garder une partie au monastère pendant l’hiver, la plus grande partie descendant cependant vers la Crau et ne remontant qu’au début de l’été. Elles ont aussi des granges non loin de Gap qui leur assurent des revenus et les compléments indispensables à leur survie. En plus d’un aumônier pour la célébration des offices religieux, elles reçoivent par nécessité un certain nombre d’hommes, moines, laïcs instruits et domestiques qui les secondent pour les relations avec l’extérieur, l’administration du monastère et les tâches matérielles indispensables : il y a ainsi un « frère lai » qui est « le maître des brebis »… 
 
* * *
 
Existe-t-il un lien entre les Richaud du Haut-Buëch et ceux de Saint-Julien-en-Quint ?
 
A part quelques coïncidences sans signification – la localisation près d’un Saint Julien ( mais en Beauchêne !) et l’existence d’une grange à Quint appartenant aux dames de Bertaud ( il s’agit de la cinquième borne miliaire sur la route de Gap à Die, à proximité de Freyssinouse), j’ai relevé un lien possible dans la charte n° 140 du cartulaire de Léoncel, datée du 21 septembre 1245, où l’on peut lire que « Pierre, Adhémar et Richaud, fils de Francon des Roissards, Pierre et Guillaume, frères, fils de feu Giraud de Beldisnar (Beaudinar) donnent à la maison de Léoncel les pâturages d’Ambel ». Ainsi la présence d’éventuels descendants de l’un des premiers donateurs ayant permis la fondation de la chartreuse de Durbon se trouverait attestée à Saint Julien en Quint… Ce fil est bien ténu mais rien ne nous empêche d’imaginer qu’un rameau – peut être un frère cadet – s’est détaché du groupe des Richaud du Haut-Buëch pour faire souche dans le val de Quint.
 
Françoise de Bouillane de Lacoste.
 
Sources :
GIBBON – Histoire du déclin et de la chute de l’Empire Romain – Tome II – p 252….270, concernant Ebouin et le royaume des Lombards - (Bouquins)
PIERRE JACQUES LE SEIGNEUR – L’ordre des chartreux dans le diocèse de Gap (Analecta Cartusiana)